mercredi 14 août 2013

Littérature: "Un château en forêt" de Norman Mailer




Norman Mailer entrevoyait une trilogie sur la vie d'Adolf Hitler, rédigée par un démon sous le joug duquel le petit Adolf s'est développé pour devenir le Hitler que l'on connaît. Malheureusement, il est mort peu après avoir terminé l'écriture de la première partie, Un château en forêt. Heureusement, le roman peut être lu et apprécié à part entière sans même savoir que deux ouvrages devaient lui succéder. En fait, non seulement j'ai apprécié ce livre, mais je l'ai adoré.


L'idée de base pouvait si facilement glisser dans la facilité que c'est en soi un tour-de-force de l'avoir menée à terme. Mailer construit sa propre vision de l'enfance de Hitler en mélangeant le fait à l'invention sans jamais se soucier de la validité historique de ce qu'il avance. J'ai trouvé l'entreprise intéressante. L'ambiance est malsaine, les personnages sont extrêmement "réels" et leurs personnalités sont très bien campées. Autre point positif, le démon qui sert de narrateur explique les "coulisses" de son travail et on ne tombe jamais dans le trop-plein de facilités surnaturelles. C'est même surprenant que le roman nous laisse malgré tout une forte impression de réalisme.

Cinéma: "The Virgin Spring" de Ingmar Bergman



Après que Gaspar Noé et autres émules aient, par leurs exercices de provocations, désensibilisé le spectateur moderne, il est difficile de choquer qui que ce soit en montrant la profanation d'un corps féminin. Mais hors de toute attente, on retrouve dans ce film de Bergman réalisé en 1960 l'une des scènes de viol les plus réalistes et dérangeantes, et ce sans qu'elle ne soit en aucune façon graphique. 
Pendant le tiers du film, le spectateur regarde une famille de paysans vaquer à leurs petites occupations, est témoin de quelques joutes verbales sympathiques, puis se fait présenter Karin, fille unique de la famille, que l'on envoie, en sa qualité de vierge, traverser la forêt pour porter des chandelles à l'église. Mais évidemment, ce qui devait n'être qu'un voyage rapide tourne au cauchemar... 



Adapté d'une ballade suédoise du 13ième siècle, "The Virgin Spring" forme, avec "The Seventh Seal" et "The Magician", une sorte de trilogie médiévale dans le corpus bergmanien. On y retrouve les thèmes chers au réalisateur, notamment son questionnement sur l'existence de Dieu, sur la foi ébranlée par son silence éternel, mais aussi sur la place de la vengeance dans le coeur de l'homme, sur la part de bien et de mal présente en chacun. Si le tout peut sembler banal à l'écrit, la réalisation lente et paisible de Bergman confère au film un réalisme vraiment coup de poing, d'autant plus qu'il explore la question sous plusieurs angles, en prenant soin de ne pas faire de son film une banale histoire de vengeance. Les extérieurs sont splendides et Max von Sydow livre encore une fois une performance mémorable. Un tantinet fastidieux, mais somme toute une oeuvre géniale.

mardi 2 juillet 2013

Cinéma: "While the City Sleeps" de Fritz Lang



Dans cette première partie du diptyque final de Lang en sol américain, trois journalistes se battent pour l'obtention d'un poste de chef éditorialiste en tentant de s'arracher des scoops sur une série de meurtres en cours. Pendant ce temps, un quatrième journaliste, qui refuse quant à lui de participer à la compétition, déchiffre peu à peu en solo le mystère de l'identité du meurtrier, alors qu'il essaie de jongler entre les jeux de pouvoir et sa jeune et jolie fiancée. Ouf! Voilà un scénario qui a du mal à trouver son point central. On passe d'une intrigue à une autre sans trop de fil conducteur, sans trop savoir laquelle est la plus importante et quels sont les enjeux réels. Lang ici ne semble pas tout à fait maître de son matériel. Il y a énormément de filons laissés pendants et les ficelles sont parfois immenses (deux personnages importants habitent dans le même édifice, l'un en face de l'autre, et ce sans jamais paraître s'en apercevoir).

L'intrigue avec le meurtrier est en soi assez risible, en particulier la scène où le personnage de Dana Andrews déballe toute sa psychologie en direct à la télévision. Sans parler du petit côté Norman Bates qui est lancé à la sauvette sans jamais être développé... Mais bon, si mon opinion paraît essentiellement négative, c'est bien parce que mes attentes étaient élevées. Lang était épaulé par une superbe distribution: Dana Andrews, Rhonda Fleming, Ida Lupino, George Sanders, John Barrymore Jr, et j'en passe. Il est donc clair qu'au niveau du jeu, c'est à peu de choses près impeccable. La performance de Barrymore manque un peu de subtilité, mais quelque chose dans sa physionomie fait de lui un maniaque plutôt convaincant malgré tout.



On peut se demander ce qui s'est passé pour que Lang ne déploie pas toute sa force avec un scénario au potentiel incroyable. Encore des exigences de producteurs? Cette fois-ci, j'en doute. Une épuration et une dernière mise au propre auraient été de mise avant de tourner. Mais qu'on se le tienne pour dit: le film, dans l'ensemble, est assez bon. Il n'est pas toujours des plus crédibles, mais il est divertissant. Certains moments forts de réalisation rappellent même "M le maudit". Mais en définitive, l'oeuvre souffre d'un scénario décousu qui aurait gagné à être revu une dernière fois.

lundi 1 juillet 2013

Littérature: "Portrait de groupe avec dame" de Heinrich Böll


      


Portrait de groupe avec dame, dix-neuvième œuvre publiée de l’écrivain allemand Heinrich Böll, qui se verra décerné l’année suivant sa publication le prix Nobel de littérature, intéresse tant par la multitude des déconcertants personnages qui la composent que par sa structure singulière et finement échafaudée. Véritable fresque au caractère quasi-épique, le roman de Böll se présente à peu de choses près comme l’hagiographie d’une sainte du petit monde, Léni Gruyten, dont la moindre des actions semble influer de manière drastique sur la vie des gens qui l’entourent. Personnage central de l’œuvre, elle est également le point de départ d’une foule d’intrigues secondaires qui au final occupent une importante partie du roman. 

En ce sens, le titre est d’une grande justesse; car bien que le roman se construise comme un recueil de témoignages sur la vie et la personne de Léni, il s’agit véritablement d’un vaste tableau de société de l’Allemagne de la fin de la première à la fin de la seconde Grande Guerre. Lotte Hoyser, Pelzer, le père Gruyten, Margret et Boris sont par le fait tout aussi intéressants que Léni, qui n’est en quelque sorte qu’un prétexte à l’intégration de différents avatars de l’époque, de différentes possibilités d’existence, de différentes personnalités hautes en couleurs. 

Mais toujours la dame semble en retrait du portrait, toujours elle paraît vouée à se distinguer de la masse, à se démarquer par son incompatibilité, par son utilisation d’une « voiture terrestre et de chevaux non terrestres », comme le dit la célèbre phrase de Kafka qui lui est si chère. L’intérêt obsessif du narrateur anonyme envers cette femme aussi mystérieuse que pathétique a tôt fait de s’emparer du lecteur qui rencontre au fil des entrevues une légion d’individus qui en ont souvent long à dire. 



Mais pourquoi vouloir à tout prix tout savoir sur cette impénétrable Léni? Cette question en apparence primordiale ne trouve pas de réponse définitive, si tant est qu’elle soit réellement pertinente. Ne prend-t-on pas égal plaisir à en apprendre sur les études fécales de l’insaisissable sœur Rachel qu’à l’énumération des amusantes images qui décorent l’appartement de Léni? Ne s’intéresse-t-on pas d’égale mesure au sort de Boris qu’à celui de sa belle? C’est tout le génie de l’écriture de Böll : il arrive à faire des digressions un moment de pur plaisir, à connecter les fragments en apparence disparates pour recréer une histoire dont le sens nous apparaît soudain, telle la vision de la Vierge-Marie dans le téléviseur de Léni! La structure de l’œuvre ne peut qu’impressionner. 

La charpente en zigzag aurait aisément pu s’écrouler si la main de maître de l’auteur et son flair pour les monologues vivants n’étaient venus la solidifier. Au fil de l’enquête que mène le narrateur, le lecteur fait la connaissance d’individus qu’on croirait de chair et d’os tant Böll leur a insufflé à chacun une vie propre, une individualité presque palpable. Malheureusement, tous les personnages ne sont pas d’égal intérêt pour le lecteur qui peut parfois se trouver indisposé par le souci du détail de l’auteur qui expose de long et en large leurs actions. 

Cette technique d’écriture la plupart du temps fort passionnante donne aussi lieu à quelques longueurs qui alourdissent la lecture. Ce n’est cependant pas suffisant pour décourager le lecteur sérieux, mais la structure narrative de l’œuvre peut en effaroucher quelques-uns. Il n’en demeure pas moins que Portrait de groupe avec dame est un roman de haute précision psychologique, subtil et élégant, qui atteint sa cible plus qu’il ne la rate.